Alors que le modèle suédois faisait office de référence pour les fervents défenseurs des 80 km/h en France, il n’existe en réalité aucune règlementation imposant une limitation de vitesse généralisée à 80 km/h en Suède et, pire, la politique suédoise se veut en fait beaucoup plus pragmatique, en misant prioritairement sur les investissements dans les infrastructures routières pour sécuriser et rendre plus efficients les déplacements.
L’association "40 millions d’automobilistes" révèle les mensonges éhontés formulés par les porteurs des 80 km/h en France pour tenter de justifier la mise en œuvre de la baisse de la limitation de vitesse sur les routes secondaires sans séparateur central, mesure aussi idéologique que néfaste.
Le 1er juillet 2018, la vitesse maximale autorisée sur les routes secondaires françaises passait de 90 à 80 km/h. Une mesure hautement polémique, qui a mis le feu aux poudres des mois durant parmi les usagers de la route et qui continue, près de 4 ans après, à susciter le débat et la colère de la grande majorité des automobilistes.
Pour présenter et soutenir le bien-fondé de cette mesure, le gouvernement et les associations favorables à l’abaissement généralisé de la vitesse ont largement fait référence à des modèles mathématiques surannés tel le théorème élaboré dans les années 1960 par un chercheur suédois dénommé Nilsson, qui voulait que, pour une baisse de la limitation de vitesse de 1%, on obtiendrait une réduction systématique du nombre d’accidents de 4%.
Le meilleur exemple, selon les partisans de la mesure, en serait la Suède elle-même, qui aurait adopté avec succès les 80 km/h sur l’ensemble de son réseau routier depuis de très nombreuses années… Seulement voilà : la réalité du cas suédois est bien loin de ce qui a été dépeint par les instigateurs des 80 km/h en France.
Depuis 2014, l’Administration suédoise des Transports – l’autorité chargée en Suède de la construction, de l’exploitation et de l’entretien des routes – met en œuvre un "Plan national des transports", qui consiste notamment à ajuster chaque année la vitesse maximale autorisée sur les routes nationales en fonction de l’état de l’infrastructure routière.
Pour faire simple : lorsqu’une route est jugée en mauvais état, la vitesse y est temporairement abaissée à 80 km/h au lieu de 90 ou de 100-110 à 90 km/h, en attendant que les travaux et aménagements nécessaires soient réalisés. À l’inverse, une fois ces travaux réalisés et lorsque l’infrastructure le permet, la vitesse est réhaussée. La plupart du temps, ces aménagements prennent la forme de la création d’une séparation centrale entre les deux sens de circulation, mais pas seulement ; des mesures visant la sécurisation des dépassements, prenant en compte les usagers vulnérables (en particulier les cyclistes) ou encore renforçant les contrôles d’alcoolémie au volant sont également mis en œuvre.
C’est ainsi que chaque année depuis 2016 et jusqu’en 2025, une limitation de vitesse temporairement abaissée est appliquée sur environ 425 km de routes nationales et qu’une vitesse plus élevée est autorisée sur environ 120 km.
On pourrait donc croire qu’avec une mesure bien davantage ancrée dans le pragmatisme que celle appliquée en France depuis 2018, celle-ci ne souffrirait d’aucune contestation…
Pourtant, suite à la publication par l’Administration suédoise des Transports en novembre 2020 de la liste des routes concernées par les modifications de limitations de vitesse, de nombreuses collectivités ont exprimé leur désaccord face à cette mesure, estimant que cela n’était pas justifié en matière de sécurité routière et que les temps de parcours augmentés nuisaient au développement économique des régions et à l’accessibilité des territoires pour les usagers s’y déplaçant. C’est le cas par exemple des municipalités de Gagnef, Mora et Älvdalen (Comté de Dalécarlie ou Dalarna), qui avaient alors fait appel de la décision auprès du gouvernement suédois.
Et il y a quelques semaines, le gouvernement suédois s’est exprimé en faveur de la région : il a estimé que la baisse de la limitation de vitesse n’était pas justifiée et que des mesures alternatives devaient préférentiellement être mises en œuvre pour sécuriser les déplacements. Le Gouvernement a donc annulé la décision de l’Administration. Ainsi, dans le Dalarna, les routes nationales 66 et 70 – concernées par la mesure – devraient prochainement voir la limitation de vitesse à 90 km/h rétablie.
Depuis de nombreuses années – et encore plus depuis la prise de position publique de l’ancien Premier ministre Édouard Philippe en décembre 2017, qui a abouti à la mise en œuvre des 80 km/h généralisés l’année suivante, l’association "40 millions d’automobilistes" n’a eu de cesse de démontrer qu’une telle mesure ne pouvait pas avoir les impacts escomptés sur la sécurité routière. Pour rappel, le gouvernement français promettait alors de sauver "entre 350 et 400 vies" par an.
Les défenseurs du 80 km/h opposaient alors toujours aux arguments de l'association ce fameux "modèle suédois" prétendument si strict et efficace… Nous avons aujourd’hui la preuve que la politique de sécurité routière suédoise n’a rien à voir avec le tableau qu’on nous en dépeignait en France : elle n’est pas basée sur l’édiction bête et méchante d’une faible limitation de vitesse, mais sur une vision pragmatique au cœur de laquelle se trouve la question d’une infrastructure sécurisante et de qualité.
Mais de plus, la légitimité de la mesure d’abaissement – même ponctuel et temporaire – de la vitesse maximale autorisée y est à ce point remise en cause que le gouvernement suédois lui-même est en train d’exiger d’y mettre un terme en faveur d’autres solutions !
C’est bien la preuve, une nouvelle fois, que cette mesure inepte appliquée en France par pure idéologie ne trouve aucun fondement scientifique et encore moins empirique. Les Suédois – qui l’appliquaient eux-mêmes avec bon sens et parcimonie – en viennent à considérer que les avantages à la mettre en œuvre sont trop faibles en comparaison de ce qu’elle coûte économiquement à la société, et que d’autres mesures mieux orientées et plus ciblées seraient plus efficaces à la fois pour améliorer la sécurité des usagers et rendre plus efficients les déplacements routiers.
Quand la France arrêtera-t-elle enfin de prendre en exemple de pseudo-bonnes idées en matière de sécurité routière, alors qu’elle n’en comprend ni les tenants, ni les aboutissants ?
Et malheureusement, il ne semble y avoir aucune volonté politique réelle de redresser le tir. En tous cas, cela ne pourra pas être le cas tant que toutes les mesures prises dans le cadre de la politique de sécurité routière ne traitent que d’un seul et unique facteur : la vitesse.
Les pays scandinaves l’ont compris bien avant nous ; la Cour des Comptes l’a répété dans son dernier rapport d’évaluation de la politique de sécurité routière. Une politique de sécurité routière, pour être réellement efficace, doit reposer sur 3 axes : la réglementation, l’usager et l’infrastructure. La réglementation est en place, l’usager la respecte dans la grande majorité des cas ; mais l’infrastructure pèche toujours.