Lettre ouverte : NON, LA VOITURE N'EST PAS PRÊTE DE DISPARAÎTRE, MONSIEUR JANCOVICI !

Monsieur Jancovici,

Ce matin sur BFMTV, interviewé par Apolline de Malherbe, vous nous avez gratifiés d'une prophétie digne des plus grands oracles : "La fin de la voiture, c'est une question de temps". Et pour enfoncer le clou, vous avez ajouté qu'il serait "très difficile de conserver des véhicules d'une tonne et demi par personne avec une énergie pas chère dans un monde où il n'y aura plus de pétrole, gaz ou charbon".


Permettez-moi, au nom des 40 millions d'automobilistes que nous représentons (et qui, croyez-le, ne sont pas tous des PDG de multinationales pétrolières), de vous apporter un éclairage, disons, un peu plus... terre à terre. Car entre les courbes de vos graphiques et la réalité du bitume, il y a parfois un fossé que même un 4x4 aurait du mal à franchir.

La "tonne et demi par personne" que vous évoquez n'est pas un caprice de pollueur ou un caprice de riche qui roule en SUV pour aller chercher sa baguette. Pour des millions de nos concitoyens, cette "tonne et demi", c'est la voiture familiale, celle qui permet d'aller travailler quand le bus passe une fois par semaine (s'il passe), d'emmener les enfants à l'école à 15km de la maison, ou de se rendre chez le médecin en pleine campagne.

Cette "tonne et demi" que vous dédaignez, que vous caricaturez, c'est le dernier rempart contre l'isolement, le cordon ombilical qui relie la France périphérique à ce que vous appelez si joliment la "ville dense".

Sans voiture, c'est le télétravail forcé pour les uns, le chômage pour les autres, et pour beaucoup, la fin de toute vie sociale au-delà du clocher du village. On ne parle pas de plaisir, Monsieur Jancovici, on parle de survie !

Et puisque vous aimez les chiffres, sachez que nos compatriotes ne changent pas de voiture comme de chemise. L'âge moyen de notre parc automobile est de plus de 12 ans et nous conduisons nos voitures en moyenne près de 20 ans avant de les envoyer au paradis des épaves. C'est ce qu'on appelle la "sobriété forcée", Monsieur Jancovici, pas un choix éclairé par le dernier rapport du GIEC. C'est la preuve que la voiture, on la garde jusqu'à ce qu'elle rende l'âme, parce qu'on n'a pas les moyens d'en acheter une neuve !

Savez-vous que les foyers les plus modestes roulent avec des véhicules dont l'âge moyen frôle les 13,8 ans, tandis que les plus aisés se contentent de "jeunes" voitures de 9,4 ans ? C'est ça, la justice sociale version "Jancovici" ? On taxe les vieux diesels des ouvriers pour que les cadres puissent s'offrir des électriques à 50000 euros ? On a connu plus équitable comme transition, non ?

Votre vision d'un "monde où il n'y aura plus de pétrole, gaz ou charbon" est, disons, audacieuse... On imagine déjà les Français en trottinette électrique, traversant la France pour aller voir Mémé à la campagne, avec les courses sur le porte-bagages et les enfants en remorque. Une image bucolique, certes, mais qui relève plus d'un monde idéaliste version Bisounours que de la planification territoriale.

Pendant que vous rêvez de pistes cyclables infinies et de transports en commun dignes de Tokyo, la réalité, c'est que la voiture représente plus de 80% des kilomètres parcourus avec un véhicule motorisé en France. Les transports en commun, eux, font de la figuration avec leurs 8,1 milliards de km par an, contre 725 milliards pour la voiture. C'est ce qu'on appelle un "léger" déséquilibre, une sorte de David contre Goliath où David n'a même pas de lance-pierres. Lorsqu'il n'y a pas d'alternative, Monsieur Jancovici, vous comprendrez aisément que les Français conservent leur "tonne et demi" en rejetant l'idée de votre utopie fantasmatique.

Plutôt que de nous annoncer l'Apocalypse automobile, pourquoi ne pas se pencher sur des solutions qui ne transforment pas nos concitoyens en ermites motorisés ? Oui, l'électrique, c'est formidable. Mais sur le papier seulement... Et à quel prix ? Pour l'instant, c'est un peu comme la haute-couture : on admire, mais on ne peut pas se l'offrir. Et les bornes de recharge ? Elles poussent aussi vite que les champignons après la pluie, mais seulement là où il y a déjà des voitures neuves... et des propriétaires avec des maisons individuelles capables d'accueillir une borne de recharge.

Votre discours apocalyptique de scenario de la décroissance ne laisse aucune place à l'espoir. Et pourtant oui, la voiture de demain sera différente, plus propre, plus connectée ! C'est une certitude !

Mais elle restera surtout et souffrez de l'entendre, pour des millions de Français, le pilier de leur liberté de mouvement et de leur autonomie.

Monsieur Jancovici, nous partageons comme chacun l'objectif d'un monde plus durable. Mais cette transition doit être juste et réaliste. Elle ne peut se faire au détriment de la mobilité essentielle de nos concitoyens. L'association "40 millions d'automobilistes" continuera de se battre pour que la voiture reste un droit et une solution, et non un privilège réservé à quelques-uns.

Pierre Chasseray
Délégué Général de l'association "40 millions d'automobilistes"

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Écrit par 40MA Dernière modification le mardi 03 juin 2025